L'EXPÉRIMENTATION ARTISTIQUE DANS LES ÉVÈNEMENTS: L'EXEMPLE DE LA MÉTROPOLE MARSEILLAISE - FÉVRIER 2010

L’atelier de réflexions organisé le 16 février, à la Friche La Belle de Mai, à Marseille, a permis d’explorer la place des expérimentations artistiques dans des évènements aussi prestigieux que les capitales européennes de la culture. Ces expérimentations brouillent les frontières entre le micro et le macro, le local et le global. Mais, à quelles conditions peuvent-elles garder leurs valeurs et s’épanouir dans ce cadre ?

Suite à sa participation à cet atelier, Pascal Nicolas-Le Strat (politiste et sociologue) a écrit un Article paru dans la revue Multitudes 45 n° spécial été 2011

Plus d’infos sur son blog lecommun.fr. Le document est téléchargeable ici.


L'expérimentation artistique dans les évènements : l'exemple de la métropole marseillaise - Février 2010

Installation Footsak/Les Pas Perdus – (Durban) – 2010

â–ºSYNTHàˆSE COURTE

Un territoire toujours aussi fertile
La métropole marseillaise est un territoire particulièrement fécond en matière de projets relevant de ce qu’il est convenu d’appeler les Nouveaux Territoires de l’Art (NTA). Cette appellation (suite aux préconisations d’un rapport confié à Fabrice Lextrait, en octobre 2000, par Michel Duffour, alors secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle sous le gouvernement Jospin) trouva sa consécration lors d’un colloque international organisé, en 2002, à la Friche la Belle de Mai. Il fut alors évident que les NTA recouvrent une réalité foisonnante et en prise avec les enjeux essentiels de l’action artistique et culturelle. Mais, le fantastique espoir suscité par le colloque de 2002 n’a pas tenu ses promesses politiques. Pourtant les valeurs fondatrices des projets qui se reconnaissent sous cet intitulé sont plus que jamais actives. Les démarches sont efficientes et nombreuses. Comme le prouve d’ailleurs l’exemple marseillais. La perspective de Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture et le coup de projecteur que va générer cet événement est l’occasion de rappeler que ces territoires de création expérimentent concrètement les conditions nécessaire à l’avènement d’une véritable démocratie artistique.

Mettre en récit
Aborder ces expérimentations à partir de leur ancrage territorial ne signifie en rien les circonscrire à une géographie ou les enfermer dans des spécificités locales. Ces projets ont tous vocation à se nourrir fortement du contexte dans lequel ils se développent, mais pour le transcender et ainsi œuvrer, par la pratique, à d’autres relations entre l’art et la population. Ils sont fondamentalement transversaux et trans-sectoriels et s’inscrivent dans un mouvement de décentralisation que la politique actuelle du gouvernement met cruellement à mal.

Comme le souligne Pascal Nicolas-Le Strat, ces aventures sont le ferment de récits qui pourraient nourrir ensuite d’autres narrations politiques et sociales. Et le chercheur de souligner que les sciences sociales, elles aussi, ont besoin de sortir de leurs murs.

Mais le contexte de crise favorise le repli. Confrontés à de multiples difficultés, notamment économiques, les artistes se retrouvent cantonnés dans des cadres qui les étouffent. De même la pensée produite par les universitaires et les chercheurs n’arrivent pas à irriguer la société.

Des projets majoritaires
© Salle d’exposition/Marie Legros – 3 Bis F (Aix-en-Provence) - 2010
La visibilité de ces projets passe donc par une mise en récit qui dépasse la seule portée artistique. Il s’agit bien de réamorcer la dimension politique à l’intérieur de ces actions. Il apparaît évident que le contexte politique national et international n’est pas, pour l’instant, propice à l’émergence de telles initiatives. Mais, si les forces au pouvoir freinent le développement de ces projets, elles n’arrivent pourtant pas à les annihiler. Bien que considérées comme minoritaires par les instances dirigeantes, elles sont fondamentalement majoritaires dans leur volonté à concerner l’ensemble des populations, au plus près de leur vie quotidienne. Le projet porté par Guy-André Lagesse et son association les Pas Perdus, Footsak - La balle au bond 2010, est emblématique de cette capacité à enchanter le réel. Trois artistes poussent un ballon de football à travers le continent africain, de Marseille à Durban, en pleine période de préparation de la Coupe du Monde. En chemin, ils se font les catalyseurs d’un processus artistique in situ, impliquant la participation de la population rencontrée. Ils célèbrent ainsi la fantaisie et l’inventivité du « monde des modestes  ».

Du micro au macro
Ces démarches circulent donc avec facilité entre ici et ailleurs, entre les approches « micrologiques  » et « macrologiques  ». Mais elles entrent difficilement dans les cadres de la légitimation institutionnelle. Comment obtenir cette légitimité sans se laisser enfermer dans des labellisations normatives ? Comment ces processus, ces expérimentations, peuvent-elles intégrer des postures « de grande envergure  » qui, elles, favorisent la dimension événementielle ? La perspective de Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture, est, en ce sens, emblématique. Marseille Provence a, en grande partie, décroché le titre de capitale européenne de la culture grâce à la capacité de ce territoire à être un laboratoire de création. Pourtant, la programmation de l’année 2013, pour drainer un maximum de visiteurs, risque de valoriser les formes de l’excellence artistique, jouant plus sur l’effet vitrine que sur une véritable irrigation culturelle du territoire. Quant à la participation des habitants, s’appuiera-t-elle vraiment sur une démarche de co-construction intégrant les désirs et les aspirations de ces derniers ?

Tourner vers demain
En tout cas, les projets véritablement ancrés sur la ville ne veulent pas être relégués à la marge. Ils ont su développer des savoir-faire en termes de portage de projet, d’ingénierie, de médiation. Ils ont inventé des modes de gouvernance innovants et opérationnels dont devrait s’inspirer la capitale européenne de la culture et plus globalement l’ensemble des politiques publiques. Car, ces démarches nous aident à penser la complexité des relations qui régissent la société. Elles débordent largement les seules préoccupations artistiques pour contaminer, transversalement, les champs politiques, économiques, sociaux, éducatifs, urbains, environnementaux... A l’heure où les politiques publiques doivent intégrer des paradigmes radicalement nouveaux, ces projets anticipent les mutations et ouvrent des horizons sur les conditions du vivre ensemble. En 2012, dix ans après le colloque sur les Nouveaux Territoires de l’Art, un événement mêlant actions et réflexions pourrait réaffirmer cette évidence.

Fred Kahn
Textes rédigé à partir des propos tenus à Marseille le 16/02/10 lors de l’atelier de réflexions

Quentin Dulieu (Af/Ap)
Coordination des Ateliers de réflexions

Mis à jour le jeudi 23 juin 2011