A l’Assemblée nationale, le 19 mai, le Syndeac a appelé de ses vœux une loi d’orientation pour l’art et la culture. Mais à l’heure de la décentralisation forcée, une « politique culturelle » digne de ce nom est-elle encore envisageable ? A Bruxelles, c’est une expression d’ores et déjà interdite !
« Appeler à la relance d’une politique culturelle digne de ce nom peut paraître incongru tant il est vrai que depuis plus de dix ans la simple gestion du fameux 1% budgétaire a servi d’unique boussole à tous les gouvernements ».
En organisant une journée à l’Assemblée nationale, ce lundi 19 mai le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) ne semblait guère nourrir d’illusions quant à son appel « Pour une relance des politiques publiques pour l’art et la culture ». A l’heure de la décentralisation, le Syndeac entend toutefois faire entendre dans le débat la voix de ses adhérents, et plaide « pour une remise à plat des objectifs et des financements » de la politique culturelle : « cette possible recomposition de notre paysage artistique et culturel doit s’inscrire dans un débat national et public sur la place et le rôle de l’art et de la culture dans notre société ».
« Au moment où le gouvernement encourage les collectivités territoriales à se doter de compétences nouvelles au sein d’une « organisation décentralisée de la République », il est essentiel que la place de l’art et de la culture diffuse un discours rassurant sur la décentralisation, il est clair que le principe même d’expérimentation, pour le moment limité au patrimoine et aux Fonds Régionaux d’Art Contemporain pourra demain s’étendre au spectacle vivant », souligne le Syndeac, qui appelle de ses vœux une « politique nationale ambitieuse » et demande que soit mise en perspective une « loi d’orientation pour l’art et la culture », comme cela avait déjà été proposé, en vain, en 1995.
A moins que cette demande ne soit « hurlée », pour reprendre un mot de Jack Ralite, il y a cependant peu de chance que cette demande soit entendue, si l’on en juge par la non-représentation du ministère de la Culture et de la majorité parlementaire à cette journée du Syndeac. Excepté la présence dans la salle, on ne peut plus discrète de Laurent Brunner (conseiller de Jean-Jacques Aillagon pour le spectacle vivant) et de Sylvie Hubac (directrice de la DMDTS, qui sera remplacée en juin) ; le seul représentant de l’Etat aura été Richard Lagrange, directeur régional des Affaires culturelles de Midi-Pyrénées, région choisi par le ministère de la Culture pour expérimenter de nouveaux protocoles de décentralisation. Dans un langage sciemment empreint de technocratie, totalement dépourvu de la moindre conviction, Richard Lagrange a lui-même convenu que, de la part des élus comme de celle des acteurs culturels, « la proposition de décentralisation n’est pas très forte ». Elle se résumerait, pour l’heure, à quelques idées qui tiennent plus « d’usines à gaz » que d’une véritable politique culturelle : une « charte régionale », un « fonds de soutien partenarial » ou encore une « conférence régionale culturelle ». On aura encore noté l’absence de tout représentant de l’Association française d’action artistique (AFAA), en conclave depuis trois jours pour adopter une stratégie d’urgence face à l’amputation annoncée de 20% du budget de l’AFAA !
La majorité parlementaire, quant à elle, était très fadement représentée par Olivier Mousson, un centriste actuellement chargé de mission au ministère… des Transports. Le parlementaire UDF en charge du spectacle vivant était pour sa part… au Festival de Cannes. Et les élus de l’UMP pressentis pour participer à cette journée du Syndeac, Gérard Longuet président de la Région Lorraine) et Philippe Mottet (maire d’Angoulême et secrétaire national de l’UMP chargé de la réflexion sur la décentralisation en matière culturelle), se sont désistés au dernier moment.
Côté socialiste, on aura dû se contenter de la énième imprécation d’Henri Weber, sénateur de la Seine-Maritime et secrétaire national du parti socialiste en charge de la culture, sur la « démocratisation culturelle », curieusement doublée d’un hommage personnel à Jean-Jacques Aillagon (« homme remarquable en tous points » !) et d’une intervention peu passionnée de Patrick Bloche, responsable de la culture au sein du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Pour le Mouvement des Citoyens, Eric Halphen se demandait si la culture ne s’est pas « annexée un rôle qu’on ne lui demandait pas de prendre » ; et s’est quelque peu embourbé dans une allusion à Star Academy, œuvre culturelle ou non !
Aujourd’hui, seuls les communistes (Michel Duffour, Jack Ralite) et pour une part les Verts (Noël Mamère, Marie-Christine Blandin) osent encore imaginer l’artiste au centre d’une politique culturelle.
Reste cette question : une « politique culturelle » est-elle encore possible ? La philosophe et historienne Geneviève Fraisse, députée européenne, siège à la commission culturelle du Parlement européen que préside Michel Rocard. Elle a confié qu’en cette enceinte, la seule expression de « politique culturelle » était tout simplement imprononçable ! Geneviève Fraisse a quitté cette journée du Syndeac à l’Assemblée nationale pour y rejoindre Bruxelles. Ce lundi après-midi, le commissaire européen Pascal Lamy devait y plaider l’abandon de la règle de l’unanimité, en matière de négociations internationales sur les « services culturels », au profit de décisions pouvant être prises à la majorité qualifiée. Cela en serait alors fini de « l’exception culturelle » défendue par la France depuis plusieurs décennies. La réglementation européenne, fondée sur le droit commercial, stipule que les financements publics à la culture sont compatibles à la règle communautaire dès lors qu’ils n’entravent pas la concurrence. Or c’est bien la notion de « service public » de la culture qui est en jeu, dans les discussions à Bruxelles comme dans les enjeux liés à la décentralisation.
Faisons un peu de politique-fiction : il suffirait qu’un producteur privé comme Endemol, principal fournisseur d’émissions de télé réalité, se mette à faire valoir que les mauvais résultats de Nice People sur TF1 soient imputables à la concurrence déloyale que feraient subir à la télévision les nombreux spectacles subventionnés se jouant dans des théâtres subventionnés, à l’heure de diffusion de Nice People ou d’autres œuvres « culturelles ». La commission européenne pourrait alors tout à fait interdire au gouvernement français de subventionner un « service » qui fut-il culturel, ne relèverait plus du service public mais de la libre concurrence. Le prochain débat du Syndeac aura t-il lieu à Bruxelles ?
L’ex-secrétaire d’Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle a prononcé ce discours sur le service public de la culture et la décentralisation culturelle et l’inégalité d’accès à la culture, le 18 mai 2001, à Lyon.
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