1) Pour que soient reconnus dans le monde culturel la responsabilité et le rôle central des artistes
Au sein des structures artistiques et culturelles indépendantes, les artistes ont une place centrale. D’abord parce que ces structures (compagnies, groupes, ensembles, collectifs…) constituent aujourd’hui le secteur principal d’emploi des artistes, le plus souvent dans les formes du travail intermittent. Et aussi parce qu’elles n’existent qu’afin de mettre à la disposition des artistes les outils de travail qui leur sont nécessaires. Le fonctionnement (technique, administratif, commercial) de ces structures est conditionné par l’activité de création. A aucun moment la création ne peut y devenir une activité marginale. Avoir la responsabilité d’un outil de travail ou d’une structure est d’abord pour des artistes un moyen de développer l’autonomie d’un projet de création face aux normes et servitudes existantes de l’entreprise commerciale ou de l’institution administrative.
2) Pour mettre la création d’art vivant au cœur de l’espace public
La place essentielle des artistes dans ces structures met en évidence les liens de l’activité de création et de la vie publique. L’activité artistique y est en prise directe avec la société et l’espace public, dans un rapport d’interaction concrète, de dialogue, voire de résistance. Les structures artistiques et culturelles indépendantes sont des espaces nécessaires de libre expression et de débats. Elles forment de petites enclaves d’utopie au cœur du réel. Elles permettent de résister au laminage de la subjectivité et à la normalisation des sensibilités. Leur existence fait jouer à la pratique de la création un rôle essentiel dans la démocratie.
3) Pour une activité artistique la plus professionnelle qui soit
Dans une activité de création artistique, la professionnalité est autant un processus, un souci d’exigence toujours renouvelé qu’une norme sociale ou un gage d’appartenance corporative. Beaucoup de compagnies et de petites structures artistiques précaires sont les outils d’une professionnalisation en cours. Dès lors que la structure permet à ses membres d’organiser leur existence autour de la création, la professionnalité est une règle sociale. Quand les artistes vivent entièrement pour leur art, la structure qui les emploie se doit de respecter leurs droits de salariés et la législation sociale et économique en vigueur.
4) Pour une activité de création dont les modes de production s’inscrivent dans le cadre d’une économie solidaire
Le secteur de la création indépendante ne fonctionne pas comme un simple vivier ou un pur champ d’émergence servant à renouveler le corps des directeurs des institutions culturelles. Il fonctionne de plus en plus selon des modes de production qui tendent à avoir leurs propres règles, même s’ils dépendent principalement du financement direct ou indirect des collectivités publiques. Du coup l’espace d’activité sociale et économique des structures indépendantes de création ne se situe ni exactement dans le secteur public administré ni purement dans le secteur marchand.
Cette activité participe de formes d’économie solidaire. Autant dans les formes de travail qu’elle met en œuvre que dans ses " produits " :
- La pratique de la création requiert souvent un engagement commun, une aventure collective où la subjectivité de chacun des " acteurs " est mobilisée pour elle-même et pour le travail collectif.
- De nombreuses phases, individuelles et collectives, de l’activité créatrice (recherche, écriture, apprentissage, composition…) sont des temps libérés des contraintes immédiates de productivité et sont difficilement quantifiables dans une valeur échangeable sur un marché.
Les " produits " du travail artistique ne sont pas tant des marchandises que des œuvres qui n’appartiennent à personne parce qu’elles sont à tous et qu’elles sont destinées à se prolonger, circuler, se démultiplier dans l’imaginaire et la sensibilité des publics.
Les structures de la création indépendante ne sont pas à but lucratif : leur vocation n’est pas la recherche du profit.
Les structures de la création indépendante devront à l’avenir participer à l’invention de formes de régulation économique et politique qui correspondent à leur activité, à son caractère nomade et à sa mobilité essentielle ainsi qu’à des modes de coopération, de partage et de transmission non marchands.
5) Pour développer une capacité spécifique à accomplir des missions de service public
Les structures de la création indépendante représentent aujourd’hui un moyen de favoriser la rencontre du public et de la création la plus contemporaine sur un mode moins instrumental et plus riche qualitativement que les modes ordinaires de la consommation culturelle.
Par leur travail sur des territoires nouveaux de la rencontre avec la création (quartiers, zones rurales, établissements éducatifs, sanitaires, sociaux…), elles contribuent non seulement à l’élargissement du public mais à une expression culturelle d’individus et de collectivités, qui déroge aux suggestions de la culture de masse comme aux valeurs de la société du spectacle.
Dans les lieux de travail qu’elles investissent, elles invitent souvent les publics à une rencontre interactive avec les artistes dès les processus fondateurs de la création.
Elles contribuent sur le territoire à l’entretien d’un réseau fertile de création, elles participent à la diversité culturelle sur tout le territoire, et à la ré-appropriation de la culture et de l’art par les citoyens.
Avec des modes d’actions artistiques qui leur sont propres, elles concourent à renouveler et élargir le champ des publics de la création, ainsi que celui des usagers et des praticiens de tous âges, niveaux et besoins.
Dans tous ces domaines, les structures de la création indépendante participent à des missions de service public. Elles s’engagent à demander à l’Etat et aux collectivités locales de prendre enfin la mesure de leur engagement et de réévaluer leurs politiques de financement à leur égard.
6) Pour affirmer l’unité du secteur des arts vivants du spectacle
Quels que soient les domaines particuliers du théâtre, de la danse, des marionnettes, des arts du cirque et de la rue, et de la musique, il importe aujourd’hui d’en appeler à une politique nationale à l’égard de tout un secteur d’activité artistique où se retrouvent les fonctionnements, engagements, objectifs décrits dans les points précédents de cette charte.
Il y va non seulement d’une représentation solidaire vis-à-vis des pouvoirs publics et des autres organisations professionnelles, mais aussi de l’approfondissement nécessaire de la confrontation entre nos arts, des passages multiples qui se creusent entre nos pratiques et nos questionnements, et de la richesse d’une éthique commune. Condition essentielle pour que les arts qui sont les nôtres le restent, vivants.