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le 29/09/2003

Sur et sous la décentralisation culturelle

Résumé d’une intervention lors du Festival de Vic-Fezensac le 26 juillet 2003


Par Alain Lefebvre, GRESOC (Université de Toulouse le Mirail) membre d’ATTAC.






Il existe au moins 3 approches du terme « décentralisation » lorsqu’il est appliqué au domaine culturel.

-  Le premier aspect, sans doute le plus « sensible » actuellement au regard des débats concernant le secteur public de l’enseignement aussi bien que la culture, est celui du transfert des compétences.
-  Le 2ème aspect concerne la répartition (plus ou moins harmonieuse) de l’offre culturelle sur le territoire. On parle à ce sujet « d’aménagement culturel du territoire ». On sait néanmoins que, si les pouvoirs publics ont toujours proclamé leur attachement au principe de l’équilibre territorial, la réalité des choix est souvent bien éloignée de cette affirmation : la concentration des moyens financiers de l’Etat sur les grandes métropoles et, tout particulièrement, sur Paris, en porte témoignage.
-  Dans une troisième approche, la décentralisation culturelle renvoie à la montée en puissance des collectivités locales dans le financement et la gestion des affaires culturelles depuis déjà plusieurs décennies. De tout temps les collectivités locales ont financé des théâtres, des musées, des opéras, voire des bibliothèques, mais ces interventions se sont considérablement développées et diversifiées depuis une quarantaine d’années.

On sait qu’aujourd’hui le financement public de la culture est assuré à peu près à parité entre l’Etat (50% dont 20% pour le seul ministère de la Culture) et les collectivités locales (50% dont 38% pour les communes, 8% pour les Départements et 4% pour les Régions. Les sources d’information sont malheureusement anciennes (la dernière enquête d’ensemble du ministère de la Culture sur les dépenses culturelles des collectivités publiques porte sur l’année 1996) et il est très regrettable que ce ministère semble avoir renoncé à la mise à jour périodique de ces enquêtes : elles constituent pourtant des instruments fort utiles d’analyse des décisions et d’orientation des choix pouvant favoriser l’émergence d’une réflexion citoyenne sur les politiques culturelles. Dans les autres pays européens, la répartition des dépenses publiques s’écarte parfois sensiblement de l’exemple français : ainsi en Allemagne les communes contribuent à hauteur de 55%, les Länder pour 38% et l’Etat fédéral seulement à concurrence de 7%.

Les 3 aspects de la décentralisation culturelle mentionnés ci-dessus sont évidemment différents tout en étant largement interdépendants. C’est à l’histoire de cette interdépendance et aux questions vives qu’elle soulève aujourd’hui que sera consacré le présent exposé.

BRÈVE HISTOIRE DE LA DÉCENTRALISATION CULTURELLE

1) Avant 1959 (Année de la création du ministère des Affaires culturelles)

- Les initiatives locales sont assez nombreuses, mais elles sont dispersées et partagées entre plusieurs ENGINEs d’intervenants : les municipalités s’occupent de musées, de théâtre dramatique ou lyrique, de bibliothèques … tandis que de puissantes fédérations d’éducation populaire (Peuple et Culture, Foyers ruraux, MJC, Fédération Léo Lagrange, Ligue de l’enseignement) renouvellent en profondeur les modalités d’exercice de la médiation culturelle à travers ce que d’aucuns, aigris ou envieux, qualifieront péjorativement d’action socio-culturelle.

- L’Etat central apporte une certaine contribution à l’aménagement culturel du territoire, surtout à travers la politique de décentralisation culturelle qui repose d’abord sur la nomination en régions de metteurs en scène réputés et sur le couple Paris-Province, alias TNP/Festival d’Avignon, à travers la figure emblématique de Jean Vilar.

2) Le projet Malraux

- Ce projet s’inscrit dans la continuité de l’action menée par Jeanne Laurent en matière de décentralisation dramatique mais avec un élargissement du périmètre de compétences (tous les « Beaux-Arts ») et des moyens sensiblement accrus. Une des illustrations de cette action volontariste sera la création des Maisons de la Culture, ces « cathédrales de la culture » chères au ministre Malraux.

- La création des Maisons de la Culture se fait souvent, sinon contre les municipalités d’accueil, du moins « par dessus » elles. Il est vrai que le ministre et sa nouvelle administration (dont certains cadres sont issus de l’ex-administration coloniale récemment rapatriée en métropole) se méfient beaucoup des notables locaux assimilés parfois à des « sorciers obscurantistes » dont les « missionnaires de la culture » doivent se méfier et qu’ils doivent pouvoir neutraliser. De fait, les communes d’accueil, mises à contribution pour assurer la moitié du financement, sont tenues le plus possible à l’écart des orientations stratégiques des établissements. Le Ministère cherche seulement à obtenir leur appui financier, en leur faisant miroiter l’importance des retombées économiques qui en résultera pour le milieu local.

- Les successeurs de Malraux corrigeront sensiblement l’aspect quelque peu méprisant de cette collaboration inégale Etat/Collectivités locales. Dès 1973, les premières formules de politique culturelle (chartes culturelles, conventions de développement culturel) verront le jour dans une perspective plus égalitaire entre les partenaires.

3) La période Lang

En première analyse le ministère J. Lang (essentiellement au cours de la législature 1981-86) se caractérise par un développement équilibré de la décentralisation culturelle selon les 3 axes dégagés précédemment :

- Les transferts de compétences effectués en 1981-82 dans le cadre de la loi sur la décentralisation sont modestes puisqu’ils ne concernent que les bibliothèques centrales de prêt et les services des archives, désormais confiés aux Départements.

- L’Etat augmente sensiblement ses crédits (un quasi doublement en 4 ans) dans tous les domaines.

- Les collectivités locales (Communes et Départements principalement) augmentent également fortement leurs contributions au domaine culturel.

- La politique contractuelle Etat/collectivités locales se développe en même temps que l’Etat renforce ses moyens d’intervention en régions à travers les DRAC (déconcentration culturelle).

Derrière ces aspects plutôt positifs, d’autres éléments moins rassurants (mais identifiés parfois tardivement) se profilent :

- L’effet « paillette ». L’accent sur le « tout création » au cours des années Lang s’accompagne d’un délaissement vis-à-vis des activités de médiation (cf les travaux de Jean Caune) qui n’est peut-être pas sans rapport avec l’échec de la démocratisation culturelle repéré dès cette époque par les spécialistes (cf les travaux de Olivier Donnat).

- Le quasi doublement du budget du ministère de la Culture est loin d’être uniforme sur le territoire : la politique des Grands Travaux (Opéra Bastille, Grand Louvre, TGB) est particulièrement budgétivore et son impact négatif sera particulièrement sensible en période d’austérité budgétaire lorsqu’il faudra assurer le fonctionnement de ces équipements.

- Les collectivités locales interviennent de façon plus ou moins vigoureuse, mais elles le font de manière souvent désordonnée (cf les écrits de Pierre Moulinier) à travers le système des financements croisés. Ce système encourage souvent les actions spectaculaires et consensuelles (où chaque financeur potentiel veut être présent) au détriment d’actions en profondeur à moindre impact communicationnel

- Les institutions culturelles et pas seulement les appareils administratifs ont une fâcheuse tendance à se bureaucratiser avec une polarisation croissante - en termes de statut professionnel - entre des fonctionnaires (ou assimilés) et des travailleurs précaires (intermittents, emplois jeunes …)

- Enfin, la démocratisation culturelle, malgré l’augmentation des crédits et les pétitions lénifiantes des responsables, ne progresse pas.

Le « système Lang » s’appauvrit peu à peu (le 2ème ministère Lang, après1988 manquera singulièrement de souffle et d’initiatives nouvelles), alors même que la politique suivie depuis 1995 par les gouvernements de droite ou de gauche n’amorce aucune « refondation » réelle (cf le rapport de Jacques Rigaud présenté sous ce titre) : les budgets centraux affectés par la limitation des crédits budgétaires sont de plus en plus dévorés par le coût de la gestion des services et des équipements.

QUESTIONS VIVES POUR AUJOURD’HUI

Dans ce contexte assez morose, il ne s’agit pas, à mon sens, de voir dans la décentralisation culturelle, le mal absolu. Au contraire, elle peut s’avérer très positive, à condition toutefois que les 3 axes qui la constituent soient gérés de façon équilibrée. Et, là, il y a vraiment problème …

1) Petit inventaire des problèmes non résolus

- L’Etat cherche aujourd’hui à se défausser de plus en plus sur les collectivités locales sans toutefois reconnaître à celles-ci la capacité de prendre en mains les affaires (cf Mireille Pongy). Tout se passe comme si le missionnaire n’avait plus assez d’eau pour pouvoir alimenter son goupillon, sans toutefois renoncer à celui-ci …

- Il existe d’importantes disparités entre les collectivités locales concernant leur contribution financière (mais aussi leur capacité contributive) à la culture. Cela éclaire d’un jour très sombre les éventuels désengagements de l’Etat et pose directement la question de son rôle redistributif.
Quelques données chiffrées permettront de prendre la mesure de ces inégalités.

Dépenses culturelles par habitant en 1996 :
Communes de + de 80 000 hab. = moyenne de 1128 F/hab.
Communes de - de 80 000 hab. = moyenne de 743 F/hab.
Le Havre : 444 F/hab., Roubaix 534, Bordeaux 3287, Strasbourg 2223, Toulouse 1680. Paris ne dépense « que » 819 F/hab. mais bénéficie très largement des réalisations financées par l’Etat (près d’1/3 du budget du ministère de la Culture)

En ce qui concerne les Départements la moyenne est de 91 F/hab. mais 6 d’entre eux dépensent moins de 75 F et 12 plus de 125 F. Pour les Régions (dont la contribution a sensiblement augmenté au cours des dernières années), le montant moyen est de 28 F/hab. avec 4 régions en dessous de 20 et 4 au dessus de 45.

- Les inconvénients liés à la dilution des responsabilités entre collectivités ont déjà été soulignés, de même que la tendance à la bureaucratisation d’un secteur culturel où la part des crédits d’intervention pour des initiatives nouvelles ne cesse de s’amenuiser.

- Enfin l’absence de transparence citoyenne dans la décision culturelle pose un sérieux problème. Tout se passe comme si cette décision (à tous les échelons territoriaux) était prise par de petits comités composés, pour l’essentiel, outre les politiques, de techniciens de la culture et de créateurs labellisés. Il ne s’agit aucunement de mettre en cause ici la légitimité des uns et des autres mais de s’interroger sur les limites d’un système décisionnel pas toujours apte à prendre en compte les aspirations et les idées nouvelles et à donner une place significative à de nouveaux acteurs.

2) Quelques pistes

- Un besoin d’Etat
Il faut le dire et le répéter : l’Etat est un partenaire indispensable des collectivités locales pour impulser, pour réguler et pour redistribuer.

- Il est nécessaire de clarifier les compétences entre acteurs territoriaux pour éviter dysfonctionnements signalés précédemment. Peut-être la notion de « chef de file », avancée par la DATAR, permettrait d’aller dans la bonne direction. L’objectif n’est pas de parvenir à des compétences figées entre l’Etat d’un côté et chaque échelon de collectivité territoriale de l’autre mais de trouver des modes de coopération opérationnels entre les acteurs.

- A côté des « co-productions artistiques », aujourd’hui bien connues et qui permettent une répartition des coûts et des risques artistiques entre plusieurs producteurs, la mise en place d’instances de « co-production culturelle » associant tous les acteurs du système culturel permettrait de faire un pas vers l’exigence de citoyenneté rappelée précédemment. Sans en faire une panacée l’expérience passée de certains offices socio-culturels à dimension urbaine ou départementale pourrait fournir d’utiles indications dans ce sens.

Enfin, et ce n’est pas la moindre exigence, un effort national pour la culture est plus que jamais nécessaire. L’exception culturelle ne saurait se nourrir exclusivement de barrages protectionnistes ou de déclarations de principe. La diversité culturelle qu’elle est censée favoriser, hors des sentiers balisés par la marchandise culturelle, nécessite des moyens d’action importants au service d’une politique clairement définie. Dans cette perspective, la décentralisation culturelle est certainement porteuse d’avenir.



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Déclaration de M. Michel Duffour

L’ex-secrétaire d’Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle a prononcé ce discours sur le service public de la culture et la décentralisation culturelle et l’inégalité d’accès à la culture, le 18 mai 2001, à Lyon.


http://discours-publi (...)


Intercommunalités

Un dossier "Décentralisation culturelle" réunit trois entretiens sur le site Intercommunalites.com : avec Anita Weber, déléguée au développement et à l’action territoriale au ministère de la Culture et de la Communication, un entretien avec Pascal Ory, adjoint au maire de Chartres, historien ainsi qu’avec René Rizzardo, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles.


http://www.intercommu (...)


Les protocoles de décentralisation culturelle

On trouve encore sur le site du ministère de la culture de vieilles pages présentant les "protocoles de décentralisation culturelle " signés en 2001... Lozère, PACA, Aquitaine, Lorraine...


http://www.culture.go (...)