Le Couac est associé au CCAC dans un rôle d’observateur/accompagnateur extérieur. Un compte-rendu critique et ressourcé de chaque séance sera publié sur le site www.couac.org. Le compte-rendu est également publié sur le forum du Couac.
Ouverture de séance par le Maire
Pierre Cohen a présenté le Conseil Consultatif des Arts et de la Culture (CCAC) comme la dernière pierre du dispositif de démocratie locale mis en place par la Ville. Il s’agit ici de dépasser une phase de « cocooning » (qui renvoie à une méthode de la précédente municipalité) pour assurer une meilleure articulation entre deux niveaux : celui alimenté par les acteurs et les habitants et celui de la prise de décisions dont ont la charge les élus dans le cadre de la démocratie représentative.
Le Maire a rappelé les différents niveaux de participation déjà mis en place axés sur un travail de définition et d’exploration des enjeux à l’échelle communale ou à celle de la nouvelle communauté urbaine en se félicitant des regards croisés et des échanges précieux qui permettent d’accompagner le projet politique de différentes façons non exhaustives.
Présentation du CCAC par la première adjointe à la culture [1]
Le CCAC s’inscrit dans une suite logique des Assises de la Culture et de la rédaction du projet culturel. Nicole Belloubet a précisé qu’il s’agissait là d’une instance « à l’intersection de la démocratie participative et de l’Agenda 21 de la culture » (diversité culturelle, transversalité des politiques publiques…) en indiquant que c’était la première expérience de ce ENGINE en France dans le cadre des politiques culturelles.
L’intérêt du CCAC est d’offrir un cadre de dialogue et de débat sur la mise en œuvre du projet culturel. L’assemblée est invitée à travailler à une évaluation en prenant en compte différents facteurs (« rayonnement local, national, international, positionnement des actions… ») et en croisant plusieurs regards (« point de vue des artistes, des opérateurs, des citoyens… ») sur une logique transversale.
Un tour de table a permis que chacun des conseillers participants puisse rapidement se présenter (4 collèges – artistes, opérateurs culturels, établissements culturels municipaux, société civile – auxquels s’ajoutaient un certain nombre d’élu-e-s, adjoints et conseillers délégués). La presse était conviée pour cette occasion (unique). Nicole Belloubet a rappelé le rôle des deux intervenants extérieurs :
Alain Lefebvre, chercheur et professeur émérite à l’Université du Mirail, invité à suivre les débats et à proposer entre chaque séance une mise en perspective des échanges en publiant un texte d’analyse et de synthèse
Fred Ortuño, coordinateur du Couac, collectif d’acteurs transdisciplinaire et pôle de ressources qui mène un travail de veille active sur les politiques culturelles au plan local et à différentes échelles territoriales
Enfin, il a été précisé qu’à l’avenir, les documents permettant une appropriation des sujets débattus et une meilleure préparation de l’échange seront adressés à chacun trois semaines avant chaque séance.
Présentation de l’ordre du jour et ouverture de l’échange
Information sur le « Parcours culturel Gratuit »
Concertation sur la « Politique tarifaire des établissements culturels »
Co-construction autour de « l’Art Culturel Garonne : quel projet ? »
Nicole Belloubet a engagé l’échange par le projet d’Arc Culturel Garonne, « projet encore très ouvert » et qui a fait l’objet de communications dans le cadre de la Fabrique Urbaine en s’appuyant sur quelques documents distribués (cartographies essentiellement). Un projet d’aménagement urbain de la rive gauche de la Garonne concerne un arc partant du musée des Abattoirs pour arriver à l’île du Ramier. En posant la question sur l’ordre des priorités en termes géographiques (Prairie des Filtres, Port Viguerie, Hôpital La Grave…), Nicole Belloubet a émis le souhait que s’engage une réflexion sur cette zone, propice à un investissement culturel mais dont la traduction urbaine reste encore à trouver : liens entre le monde hospitalier et la culture, quel lieu de transversalité et de pluralité d’esthétiques… ? En ouvrant ce point, l’adjointe à la culture a également invité à ce qu’un groupe de travail se constitue pour y travailler de manière progressive (contributions écrites…).
Synthèse des discussions autour de l’Arc Culturel Garonne
Les premières interventions ont manifesté un scepticisme certain. Manquant finalement de matière pour se positionner, un certain nombre d’acteurs se questionnent à leur tour faisant remonter que ce « concept » ne semble pas encore très nourri :
Quel est l’objectif qui sous-tend cet arc culturel Garonne ? Est-il question de réaffirmer une nouvelle centralité dans la ville ?
Si la ville semble avoir tourné le dos au fleuve durant très longtemps, on peut, sans être urbaniste se réjouir de cette nouvelle perspective, mais pour quoi faire ? La nécessité d’un bilan en termes d’existant et de manques ne se pose-t-elle pas ?
Des projets (Cité de la Danse par exemple) ont déjà été évoqués dans le cadre des Assises de la Culture et dans le projet culturel : ne manque-t-il pas finalement que les acteurs (cies de danse ou autres…) s’inscrivent dans une véritable démarche d’appropriation en identifiant peut-être plus finement les besoins, en se projetant sur une dimension « quartier ».
C’est une question de méthode qui est finalement posée. L’équipe municipale s’est déjà exprimée sur ce projet (voir projet culturel) et elle est en demande d’éléments pour le nourrir. Il s’agit donc d’une démarche de « co-construction » qui entend se donner la peine de faire émerger progressivement les lignes de force. Sur un premier tour de table, elles sont déjà assez diverses, voire disparates, en fonction des principes ou des postures qui les sous-tendent :
sur un principe de comparaison et de « mise à niveau », il est fait remarquer par exemple que « toutes les grandes métropoles européennes disposent d’un auditorium » (Y.Sapir)
sur une posture plus artistique, il est intéressant et excitant d’imaginer un lieu ouvert à une pluralité et à une confrontation d’expressions ; les premières pistes pour le moment à l’étude rappelées par l’équipe municipale évoquaient un centre chorégraphique. Sur la grande surface libérée par le déménagement futur de l’Hôpital La Grave et de l’Institut Claudius Regaud, des propositions complémentaires ont aussi été faites : résidences d’artistes, lieu d’exposition…
sur un plan urbain déjà travaillé au sein de la Fabrique Urbaine, il n’est plus concevable d’imaginer Toulouse sans l’eau, qu’il s’agisse du Canal du Midi ou de la Garonne ; l’Arc indique également une volonté de réfléchir en terme de continuité urbaine : théâtre Garonne, Abattoirs, Port Viguerie, La Grave, Prairie des Filtres, Château d’Eau…
Certaines de ces directions sont susceptibles de s’opposer : pluralité des expressions et équipement adapté. Il est par exemple possible de réduire la dimension plurielle des lieux à une bien maigre « polyvalence », renvoyant à l’idée d’un défaut majeur de conception, d’équipements inadaptés et inopérants car prétendument capables de répondre à tout. L’opposition semble cependant pouvoir être travaillée par un recours systématique à la maîtrise d’usage : là encore, quelle méthode ?
Progressivement, l’échange s’est articulé sur la notion de quartier tourné vers la culture intégrant « marchés d’artisans », « résidences d’artistes »… en rappelant la volonté du Collectif Santé du CHU de la Grave de maintenir une activité de santé de proximité.
Un marché de définition doit/devrait aider à cerner ce qui pourrait se faire et éviter le « coup par coup ». Pierre Cohen a insisté sur le fait qu’il s’agissait là d’un projet fort d’identification des toulousains à leur ville et que l’ambition politique devra se montrer à la hauteur.
Deux objectifs larges semblent tout de même déjà sous-tendre l’Arc culturel Garonne : le premier réside dans la nouvelle valorisation du fleuve, gage de l’attractivité de la rive gauche et d’une reconfiguration bicéphale de la ville ; le deuxième dans l’ouverture vers le reste de la ville à savoir les quartiers populaires de l’Ouest toulousain. Pierre Cohen rappellera que le projet situé autour de La Grave est un des trois enjeux (avec le prochain quartier des Sciences et l’arrivée du TGV à l’horizon 2018) pour le renouvellement de la notion d’hypercentre.
La notion de « quartier culturel » intéresse beaucoup de villes et de grandes métropoles. D’après Alain Lefebvre, les premières évaluations indiquent que la réussite de ces programmes urbains n’est pas tant liée à l’ampleur des réalisations qu’à la qualité des interactions qui s’y produisent (entre artistes et habitants, structures de rayonnement international et structures de proximité, ENGINEs d’entreprises implantées…) Il y a aussi des échecs retentissants (voir le 104 à Paris).
Sur l’idée d’une pluricentralité, la Ville, à travers les propos de Nicole Belloubet semble vouloir se montrer attentive à l’animation de nouvelles territorialités par une mise en jeu de passerelles, de réseaux (marché des arts, écoles de musique, temps espagnol…).
La projection d’un lieu physique et pluriel n’a de sens que s’il est mis en relation avec un « corps artistique ». L’idée est ici d’éviter le « bout à bout » en tâchant de trouver une articulation de ENGINE organique. Comment fabriquer un corps ? interroge James Carlès. Il pourrait s’agir d’un lieu qui porte et qui anime et mobilise une histoire des danses, au sens d’un patrimoine artistique immatériel : danses sociales, danses urbaines, danses théâtrales, en dehors de la danse classique…
Sans doute faut-il continuer cette réflexion en la menant d’une autre façon que sur le seul mode planificateur et centralisateur. Plutôt que d’aller vers les grosses machines (comme cela se fait habituellement avec les « gros » festivals), pourquoi ne pas commencer par expérimenter à plus petite échelle, en prêtant une attention renouvelée à toutes ces séries d’interactions possibles du vivre-ensemble. Comment amener de la vie, de la convivialité, du lien social ?
La fraîcheur des fins d’après-midi d’été est propice à des présentations en extérieur, qui invitent à la redécouverte du fleuve… Le succès populaire de manifestations qui osent décloisonner (ex. des Machines aux Abattoirs, événement qui sortait de la ligne éditoriale du centre d’art contemporain), devraient également inciter à plus d’imagination et d’expérimentation.
C’est le vœu assez général que l’on peut retenir. « La Grave est un sujet ouvert pour les 6 mois à venir, et cela n’empêchera pas de mettre en place des espaces provisoires », a conclu Nicole Belloubet.
Politique tarifaire de la ville
C’était un deuxième point à l’ordre du jour, à traiter sur le mode « concertation ». La Ville cherche à gagner en lisibilité sur son offre tarifaire mais aussi à aller « vers plus de justice ». Nicole Belloubet a tenu à rappeler quelques nouvelles initiatives mises en place depuis le début du mandat : pauses musicales gratuites tous les jeudis entre midi et deux (salle Rémusat et à la Maison de l’Occitanie), événements publics dans la rue… La première adjointe a également évoqué une réflexion en cours mobilisant les élus sur la gratuité des musées municipaux, ou du moins sur une extension possible de la gratuité et la recherche de critères communs.
Il est rare que la question de la gratuité dépasse le cadre des musées et monuments. Pour Alain Lefebvre, cette question est liée à celle du projet culturel et au sens politique que l’on souhaite lui donner : il n’y a pas que des obstacles économiques (renvoie à la notion de « capital culturel », P. Bourdieu). La question sur la gratuité devrait donc être reliée à celle de l’action culturelle, seule à même dans son articulation avec des objectifs véritablement politiques, de lui donner sens.
La politique tarifaire renvoie donc en premier lieu à celle plus transversale de l’accompagnement non pas des « publics » (quels publics ? publics de qui ? de quoi ?) mais des « gens », dans cette approche à la fois plus riche et plus difficile à appréhender. Plusieurs modes d’approche : générationnel, statutaire (amateur/professionnel), économique (à travers les politiques de fidélisation qui se heurtent parfois à celles de l’accessibilité…)…
Là encore, comment nourrir la réflexion ? Il a sans doute manqué quelques axes plus précis pour construire un échange qui puisse relever d’une véritable délibération.
Nous nous bornerons donc à faire réémerger quelques pistes qui interrogent à leur tour les objectifs de la politique culturelle en lien avec cette question de la gratuité.
Pourquoi ne pas lancer une réflexion sur le Parcours culturel ? interroge Paul Chiesa. L’intérêt serait, en s’adressant aux enfants, de considérer systématiquement les effets induits sur les parents, et, échelon après échelon, à amener toutes les populations à fréquenter ces lieux. Même si pour d’évidentes raisons économiques tout ne peut pas être gratuit. Il faut en tout les cas mettre dans le débat la question du prix des places des spectacles municipaux et l’ensemble des difficultés d’accès : politique de réservation qui fait qu’il ne reste plus assez de places disponibles bien en amont des représentations (Capitole par exemple).
La question de la gratuité semble pouvoir être tranchée plus rapidement chez d’autres. En tous les cas pour le spectacle vivant (à la différence des musées), le rapport direct entre celui qui fait et celui qui regarde implique ce contre-don monétaire. « Celui qui vient voir quelque chose doit renvoyer le don… et chez le psy il faut payer », ironise Michel Mathieu. La question des tarifs se pose ensuite. Il est certain que le prix du billet ne doit pas être un empêchement.
Les questions d’accessibilité des structures culturelles (surtout municipales) qui intègrent celle des politiques tarifaires renvoient aussi sur la question des horaires : les musées ferment quand les gens sortent du bureau. Comment surmonter l’illogique de cette situation ?
La gratuité se pose pour d’autres comme une question écran entre consommation et éducation/sensibilisation. Finalement, la manière de la considérer de manière trop cloisonnée ou en tous les cas, isolée de la question de l’action culturelle, risque de renvoyer sur le seul biais du remplissage des salles, évitant ainsi un travail de fond, de sensibilisation et de médiation (quand bien même il serait aisé de remplir les salles de quelque manière que ce soit). Elle pose de toute façon des problèmes d’équation économique : s’agit-il de créer des portes d’entrée plus larges ou d’agir en complément (dans le cadre d’une programmation par exemple au sein d’une structure ou plus globalement à l’échelle d’un projet culturel de territoire ?)
Il serait intéressant à ce double titre de croiser les chiffres : quelle part prend la billetterie dans le budget des salles subventionnées ? dans celles qui ne le sont pas ? la nouvelle politique tarifaire mise en place par le Capitole (augmentation du tarif normal permettant du même coup une extension du champ de diminution tarifaire, sur un principe de solidarité) semble prouver que des évaluations sont bel et bien réalisées : quelle visibilité et quelle transmission vis-à-vis des acteurs ? La Ville pourrait sur cette question apporter des éléments d’information essentiels. Faire le bilan des cartes ou chèques culture est aussi demandé.
Des coopérations intéressantes ont déjà été mises en place entre des acteurs culturels et des structures du ENGINE « culture du cœur », ou Ligue de l’enseignement, quel bilan est-il possible d’en tirer ?
On le voit : la question de l’évaluation, au sens large, mérite d’être mieux partagée
La gratuité renvoie plus largement au statut de l’artiste, à son image et à la place qu’il a dans la société. On a vu les crispations des différentes parties dans le débat sur le téléchargement sur Internet ; comment proposer et présenter le travail des acteurs culturels ? le droit de monstration des artistes plasticiens est souvent complètement ignoré…
Il est évident que les questions de l’accès ne renvoient pas qu’aux tarifs et aux guichets. A partir de là, l’échange semble s’éloigner d’une conception purement économiste de la gratuité pour se diriger vers quelque chose de plus fondamental. En fait, il s’agit plutôt d’un détour, où l’on parle des difficultés pour des personnes « éloignées socialement » de l’offre culturelle de s’approprier des lieux, de se sentir autorisés à y entrer… mais chez qui la gratuité peut participer à favoriser la prise de risque (sur le mode « on a rien à y perdre »). L’enjeu est alors plus de travailler sur des situations d’appels, en expérimentant des mises en situation, des appropriations diverses, des confrontations d’expériences multiples.
Parcours culturel gratuit
Compte tenu du temps passé sur les deux premiers points, ce temps d’information a été réduit à quelques minutes. La plaquette « Parcours culturel gratuit » a été diffusé à l’ensemble des participants.
Le parcours culturel s’adresse aux élèves dans le temps scolaire. Il s’agit d’un premier temps d’expérimentation sur une classe/école de la ville (4000 élèves). Une évaluation du dispositif devra être réalisée pour reprendre le débat sur la gratuité (entre autres) à partir de cette évaluation.
Prochaines échéances
→ constitution d’un groupe de travail « Arc Culturel Garonne »
→ appel à contribution sur le principe d’une carte culturelle gratuite
→ prochaine séance CCAC « décentralisée » : pourquoi pas à La Grave ?
[1] Une Charte de fonctionnement du CCAC précise les modalités d’inscription, de participation, de communication du travail, ainsi que les questions de sa composition et de son renouvellement. Nous mettons donc volontairement ici l’accent sur le cadre politique général.